top of page

Psychologie et connaissance de soi. 

 

Ce n'est qu'après de nombreux et douloureux échecs, ressentis comme un mal-être récurrent, à moins qu'il ne soit permanent, s'ajoutant à une forte résistance aux changements et à de multiples tergiversations, que nous arrivons un jour - presque contre notre gré - à renoncer à notre projet le plus cher : changer les autres et le monde. C'est parce que nous avons dû reconnaître que c'est à nous seul qu'il revient de changer notre perception des autres et du monde, comme de l'interprétation que nous faisons des situations et des évènements de notre quotidien.

Néanmoins, le processus intérieur qui conduit à une perception nouvelle du monde, des autres et de soi-même répond à une quête bien plus vaste et bien plus profonde que tous les symptômes dépressifs de mal-être le laissaient supposer. Car le mal-être est la manifestation d'un questionnement impératif et répété, concernant l'identité de l'être et de sa relation avec tout ce qui fait son monde. Ce mal-être se manifeste toujours par des réactions d'intolérance, de frustration ou de colère face aux comportements et aux agissements des autres et aux situations imprévues qui interfèrent avec les habitudes confortables du statu quo. C'est l'impossibilité d'assouvir la rage ressentie contre le monde qui fait qu'elle change d'objet ; elle se retourne alors contre le corps, et l'impuissance et la faiblesse trouvent leur accomplissement dans la maladie. Mais comme changer sa réaction à sa propre interprétation de ce qui est perçu requiert un élargissement des limites que l'esprit s'est imposé à lui-même, il devra donc commencer par une remise en question du système de croyances tout entier. 

La croyance fondamentale, sur laquelle toutes les autres reposent, est que l'esprit s'est réellement séparé de ce qui le constitue : son propre principe. Ainsi, se croyant autonome, l'esprit tente de se singulariser en apposant des limites à son extension naturelle, afin de contrôler et de gérer lui-même ses capacités créatrices. Ces limites, qui ont été définies inconsciemment et consciemment, divisent l'esprit en 'dedans' et en 'dehors'. Cette division institue alors un système de penser mystificateur dont découle la perception. La projection, due à cette division de l'esprit, va donc fabriquer un monde qui devient la 'preuve vivante' de la dualité de toutes choses. Dès lors, les problèmes qui sont perçus au-dehors, qu'ils soient familiaux, de voisinage ou mondiaux, entretiennent dans l'esprit divisé de chacun une version erronée de lui-même, car il est obligé de choisir entre les deux pôles d'une réalité qu'il croit duelle. L'allégeance à l'un des deux camps étant requise, il doit appliquer ses lois et surtout les défendre. Et comme il n'a pas d'autre choix que de s'identifier à son système illusoire, il doit s'opposer aux lois adverses, puis les combattre car il croit que sa vie même en dépend. L'idée qu'il se fait de lui-même est, nécessairement, elle aussi divisée ; c'est pourquoi, bien que chacun recherche sincèrement les raisons de l'amour, il ne trouve finalement que des justifications à sa haine. La lutte incessante dans laquelle il est engagé est jalonnée de victoires, brèves et à l'arrière-goût amère, mais surtout de défaites dévastatrices. Il tente généralement de s'en accommoder et, quelque fois, il y parvient, pour un temps, en se séparant encore, comme si la tyrannie perçue au-dehors ne le concernait pas personnellement.

Krishnamurti - De la connaissance de soi - Livre audio

bottom of page